Javogues
et la chute de Robespierre
Lorsqu'il eût éliminé dantonistes et hébertistes,
Robespierre se retrouva isolé. Il fut alors renversé par une alliance
des modérés (Lazare Carnot), des représentants en mission
destitués pour corruption (Tallien, Barras) et des membres du comité
de salut public qui n'avaient pas admis l'élimination des hébertistes
(Collot d'Herbois, Billaud-Varenne). Robespierre avait maladroitement annoncé
d'autres épurations - sans désigner les futurs coupables, ce qui
inquiétait tout le monde. Il fut décrété d'arrestation
le 9 Thermidor an II (27 juillet 1794), arrêté et guillotiné
en même temps que Saint-Just et Couthon.
Javogues a joué un rôle actif dans la crise du 9 thermidor. Au
club des Jacobins, il est du groupe qui entoure Collot d'Herbois et Billaud-Varenne
et il tente de s'opposer à Robespierre dénonçant "
la toute puissance d'un seul homme ". Robespierre remercie ironiquement
Javogues d'avoir révélé sa position de façon si
nette, aidant ainsi à identifier plus clairement les ennemis de la République
: la menace est claire. |
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Lorsque
Robespierre et ses amis sont ensuite réfugiés à l'Hôtel
de Ville auprès de la Commune de Paris, le nom de Javogues figure parmi
ceux des 14 Conventionnels désignés par la Commune comme les meneurs
de la " conspiration ". Robespierre guillotiné, le 9 thermidor
permet donc à Javogues de rétablir, de façon inattendue
mais provisoire, sa position. Son opposition à Couthon apparaît
même, rétrospectivement, comme la première résistance
à Robespierre.
En fait la réaction thermidorienne affaiblit les anciens " terroristes
". Les militants jacobins de la Loire, avec lesquels Javogues était
resté en contact, sont évincés des administrations et victimes
d'une véritable terreur contre-révolutionnaire : les " assommeurs
", souvent de jeunes muscadins, massacrent les anciens jacobins. Quatorze,
au moins, sont assassinés à Montbrison, souvent à coup
de hache ou de sabre. Des muscadins vont prendre les gens en pleine nuit, les
font descendre en chemise, puis les assassinent dans la rue devant leur maison.
Des femmes de Jacobins ou qui s'étaient engagées dans le mouvement
jacobin sont arrêtées et promenées nues à travers
la ville et fouettées en public. Un flot de dénonciations concernant
Javogues afflue à la Convention.
Javogues est finalement arrêté, le 1er juin 1795, par ordre de
la Convention en même temps que d'anciens représentants en mission
ultra-révolutionnaires. Puis il est libéré. Mais il ne
peut regagner Montbrison. Son père, Rambert Javogues lui envoie 9000
livres en l'avertissant qu'il lui sera à jamais impossible de revenir
dans la Loire où, écrit-il à son fils, " notre nom
est à jamais proscrit ". |
La conspiration
des Egaux
Dans le climat de misère qui règne en 1795-1796
se noue, au printemps de 1796, la Conspiration des Egaux. Elle est dirigée
par un journaliste, François dit Gracchus Babeuf (1),
qui dès 1789 projetait un bouleversement complet de la société.
Le Manifeste des Egaux prône la fin de la propriété privée
et veut établir un régime communiste - c'est la première
fois que ce mot est employé. D'après Babeuf, la révolution
sociale ne peut se réaliser qu'après la prise du pouvoir politique.
Au début de 1796, Babeuf et ses amis - les Babouvistes - créèrent
une organisation secrète qui groupait des communistes et d'anciens
jacobins. Mais l'un des adhérents dénonça le complot
et Babeuf et les principaux meneurs furent arrêtés (mai 1796).
Claude Javogues fut en contact avec les babouvistes : il était abonné
au Tribun du peuple de Babeuf et assista au moins à l'une des réunions
du Directoire secret de la Conspiration des Egaux. Il restait fidèle
à ses convictions et allait jusqu'au bout de sa réflexion sur
l'organisation de la société.
signature de Javogues
(1) - Il avait pris le nom de Gracchus allusion
aux Gracques, deux frères
qui avaient tenté une réforme agraire à l'époque
de la République Romaine.
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La tentative
du camp de Grenelle (9-10 septembre 1796)
Après l'arrestation des Babouvistes (mai 1796) qui les avait laissés
d'abord désemparés, les "néo-Jacobins" (anciens
"Montagnards") tentent cependant de prendre le pouvoir. C'est la
tentative d'insurrection du camp de Grenelle, près de Paris, où
se trouvait le 21e régiment de dragons que l'on espérait soulever.
L'affaire avait été dirigée et préparée
par trois anciens Conventionnels : Javogues, Huguet et Cusset. Dans la nuit
du 9 au 10 septembre 1796, Javogues, Huguet et Cusset conduisent une troupe
de militants jacobins au camp de Grenelle : on croit que les soldats vont
se rallier au mouvement. Laréveillère-Lépaux, l'un des
cinq Directeurs (qui formaient le "Directoire"), fait le récit
suivant : " Un corps de brigands armés, au nombre de six à
sept cents, sous la conduite de chefs en uniforme d'officiers généraux
et panachés, se sont rendus la nuit dernière, au camp de Grenelle
[
} Ils ont commencé l'attaque aux cris de " Vive la Constitution
de 93 ! A bas les tyrans et les Conseils ! " (1)
On les a repoussés ; on leur a tué une vingtaine d'hommes ;
on leur a fait 132 prisonniers, dont la plupart [étaient] blessés
".
En fait, les conjurés étaient tombés dans le piège
tendu par l'un des directeurs, Lazare Carnot, qui avait été
averti par un agent double Grisel. Il avait laissé la tentative d'insurrection
se faire pour mieux l'écraser et en cueillir les chefs. ---
(1) - Le
Conseil des Anciens et le Conseil des Cinq-Cents.
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Arrestation
de Javogues
Javogues parvint à s'échapper et essaya de quitter Paris en prenant
la route de Sceaux. Epuisé par un long trajet, il entra dans une auberge
de Montrouge où il demanda une chambre. Il se jette tout habillé
sur le lit et s'endort aussitôt. Javogues, par son attitude, avait attiré
les soupçons de l'aubergiste qui fit avertir la gendarmerie. Le brigadier
de gendarmerie écrit dans son rapport : " Ce matin, sur les neuf
heures et demi environ, averti que dans la maison du sieur Galissant, aubergiste,
il y avait un particulier couché sur un lit, nous nous y sommes transportés
avec deux gendarmes, avons trouvé un particulier à nous inconnu,
l'avons réveillé et lui avons demandé ses nom, qualités
et demeure ; a dit alors se nommer Daumer, maître tailleur à Paris,
rue des Prouvaires [
] "
Javogues fut conduit à la caserne de gendarmerie où il fut fouillé
: on trouva sur lui " une écharpe aux trois couleurs et un plumet
de même, tel que les membres de la Convention s'en servaient " et
aussi un poignard et des lettres. A midi, il fut conduit à Fontenay-aux-Roses
devant un juge et reconnut finalement " se nommer Claude Javogues, ex-député
à la Convention Nationale " mais déclara " n'avoir aucune
connaissance " du " mouvement qui s'est fait sentir [à Paris]
cette nuit ". A la suite de cet interrogatoire, Javogues fut conduit à
la prison du Temple - où le roi Louis XVI avait été détenu
- et où étaient détenus les autres conjurés de Grenelle
qui avaient été arrêtés. |